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AVANT-PROPOS
Les « Pierres de Venise » font suite aux « Sept Lampes de L’Architecture » que John Huskin publia comme une « préparation » à une étude plus développée destinée, dans sa pensée, à démontrer que l’architecture gothique et byzantine fut, à Venise, le produit de la foi et des vertus domestiques, tandis que l’architecture de la Renaissance correspond au manque de foi et à rabaissement des mœurs de la nation corrompue. Pour Ruskin, c’est à Venise que se développa la plus noble des écoles gothiques et comme il voyait, avec douleur, le charme et la beauté de ses monuments s’amoindrir sous les atteintes du temps, de la négligence et de la restauration, il se hâta de déchiffrer les leçons que, suivant lui, renfermaient les « Pierres de Venise » : il voulut faire de ces pierres, la clef de voûte de toute architecture, bonne ou mauvaise.
Cette étude minutieuse et approfondie, entreprise par un chercheur ultra-scrupuleux, ne vit le jour qu’en octobre 1853, alors que les « Sept Lampes » l’avaient annoncée déjà depuis quatre ans et demi.
On a conservé, à Brantwood, un grand nombre de petits carnets carrés que Ruskin portait toujours sur lui pour les couvrir de notes et de dessins qu’il transcrivait, chaque soir, sur de plus grands cahiers. Il y inscrivait ses impressions, mais il se gardait d’en tirer des conclusions qu’aurait pu modifier un second examen. Aussi épris de la nature que de l’art aussi artiste que théologien, écrivain et poète, il entreprit le travail gigantesque d’illustrer lui-même son œuvre, avec une merveilleuse habileté. Malheureusement, il fut forcé d’en fixer le prie à deux guinées et peu d’amateurs se présentèrent ; il s’écoula un long temps avant que la célébrité vint enfin récompenser Ruskin de tant d’années passées à dépouiller.
PRÉFACE
Au mois de septembre 1845, parmi la foule bigarrée qui se promenait sur la place Saint-Marc à Venise : marchands ambulants, petits bourgeois désœuvrés, Anglais en costume de voyage, à longues visières et à voiles verts, enfants criards et pillards, portefaix sans fardeaux, nobles sans argent, mendiants sans vergogne, patriotes sans patrie et sans espoir ; sur cette place « où la musique autrichienne jouait pendant les Vêpres, mêlant ses sons à ceux de lorgue, entourée d’une foule qui, si elle avait été libre d’agir selon son désir, eut donné un coup de stylet à chacun des musiciens », passait un jeune homme inconnu, plein d’inexplicables passions. C’était un Anglais, mince blond, chevelu, de vingt-six ans. Il avait un portfolio sous le bras et une flamme étrange dans les yeux. Il entrait au Palais Ducal ou bien disparaissait dans l’ombre éclatante de Saint-Marc et des heures s’écoulaient avant qu’on l’en vît sortir. On le rencontrait encore à San Rocco, à San Zanipolo, dans toutes les églises, même les plus délaissées comme San Pietro di Castello ou San Giorgio in Alga, Saint-Georges des Algues Marines ; dans tous les palais, même les plus dissimulés sous le badigeon de la vie moderne : partout où l’on pouvait soupçonner quelque symbole à déchiffrer, quelque reste de fresque à découvrir. Les sacristains, les custodes le voyaient, non sans inquiétude, appliquer de longues échelles aux tombeaux des Doges et grimper jusqu’à la figure du « gisant » pour surprendre le secret de l’artiste et vérifier si la pierre était taillée aussi consciencieusement du côté du mur que du côté de la nef ; soulevant dans les voûtes, des poussières séculaires troublant le repos d’immémoriales araignées… Quiconque le croisait glissant en gondole sous les petits ponts courbes des canaux, ou errant dans le dédale des calli, n’oubliait plus cette physionomie étrange d’extasié batailleur aux regards comme humides de larmes, à la bouche sarcastique, l’air absent de tout, semblant …
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